Le mariage revêt une grande importance dans la vie sociale. Tout jeune homme, toute jeune fille aspire à fonder un foyer. Si l’homme a le loisir de choisir sa compagne, la femme, doit attendre qu’on vienne demander sa main. Et si les demandes tardent à venir, elle est aussitôt en proie à l’angoisse. Le plus souvent, elle attribue sa situation à un acte de malveillance, un sortilège lancé par une rivale, une jeune femme de son âge, des parentes, généralement des cousines ou des belles-sœurs de sa mère. Les rites sont nombreux et vont de la ruqya (exorcisme orthodoxe), effectuée par un imam ou un homme averti, en matière de religion, qui récitera les versets coraniques et les formules d’expulsion du mal. Mais il y a aussi les visites aux mausolées, dont les saints sont réputés favoriser les rencontres entre jeunes gens.

Les jeunes Algéroises, en mal de mariage, se rendaient et continuent à se rendre à Sidi-Abderrahmane, le patron de la ville. Il y a aussi les rites magiques que l’on peut effectuer soi-même : ainsi, se rendre sur une plage et laisser passer sur ses pieds sept vagues successives. Ces vagues sont censées emporter le mauvais sort qui empêche les hommes d’approcher. On se fait également faire par un forgeron de petites serpes qu’on jette sur un chemin fréquenté. Et puis, il y a ce rite si connue des Algériennes qui consiste à s’accrocher à la robe d’une mariée qui quitte la maison paternelle : c’est un augure pour quitter soi-même, la maison de son père!
L’un des sortilèges les plus redoutés des jeunes mariés est la ligature de l’aiguillette, rabt en arabe, tuqqna, iqqan en berbère, qui signifie «lier» au sens propre et métaphoriquement «empêcher les rapports sexuels». Les personnes malveillantes effectuent des gestes, comme fermer une épingle à nourrice, un cadenas, nouer un filer ou boucler une ceinture : ce geste, précédé ou non de formules, suffit à rendre impuissant le marié. Ce dernier, évidemment, au courant de ces manigances, aura pris ses dispositions. Sa mère ou sa parente la plus proche lui aura confectionné une amulette qu’il portera accrochée à son vêtement. On met aussi un nouet de sel, car le sel constitue un produit qui dissous les sortilèges. Un procédé, plus commode, consiste à réciter des versets du Coran, notamment les versets dits préservateurs. Dans le centre de l’Algérie, on met sur le seuil de la chambre nuptiale un objet en or sur lequel le marié devra marcher: la force de l’or est tirée de son nom, dhahab, qui signifie aussi, dhahaba, «partir», sous-entendu le sortilège. En Kabylie, les mariées prennent avec elles une petite courge évidée et arrangée en gargoulette, celle-ci symbolise la femme, prête à recevoir l’homme, elle représente aussi, en raison des nombreuses graines que contient la plante, la fécondité.
Dans la tradition maghrébine, le marié et la mariée sont entourés par des jeunes de leur âge, parents ou amis, qui vont leur servir de garçons et de filles d’honneur. L’une de leurs tâches est non seulement de tenir compagnie aux époux, mais aussi de les protéger contre les maléfices. Les compagnons du jeune homme doivent lui rappeler certaines règles comme ne pas se retourner quand on l’appelle, prononcer certaines formules…. A Ouargla, et dans d’autres régions, le marié doit garder le silence dans certaines situations: ainsi, par exemple, quand il se rend à la mosquée de Sidi-Abdelkader, l’une des visites obligatoires du mariage ouargli, il ne doit pas parler jusqu’à sa sortie de la mosquée. Autrement, les gens qui le jalousent, pourraient en profiter pour le «lier». Quand il rentre chez lui, et qu’il attend que ses garçons d’honneur lui amènent sa fiancée, il garde le silence, jusqu’à-ce que ses compagnons quittent la maison. Une autre façon d’éviter la ligature, pour le marié ouargli, est de se lier soi-même. Le matin, en entrant dans sa chambre, il fait un nœud à un fil qu’il cache. Il attendra la nuit pour reprendre le fil et le délier. Ce rite est facile à comprendre: comme le marié est déjà lié, on ne peut plus le lier. Une fois le fil dénoué, il retrouve ses capacités. Celui qui s’est lié lui-même n’est pas tenu à garder le silence. On ne peut rien contre lui.
La ligature de l’aiguillette – en d’autres termes l’impuissance du marié –, est vécue comme un drame, non seulement par le concerné mais aussi sa famille, ainsi que par la famille de la jeune fille. Le jeune homme pourra toujours dire, pour cacher son impuissance, la faute est due à la jeune femme pour dire qu’elle n’était pas vierge. Mais en général, l’incapacité de l’époux est reconnue et on l’impute toujours à un acte de magie malveillant. Quand des soupçons portent sur des personnes connues pour leur hostilité, on les force à «dénouer» l’aiguillette. A Alger, on place une enclume sous les pieds du marié, et, avec un marteau, on donne un coup, comme pour briser le sortilège. Dans la plupart des cas, on va, dans la nuit même, consulter un taleb qui écrira une amulette ou confectionnera un breuvage. A Ouargla, le taleb se livre à un tour de passe-passe magique: «(Il) prend son brûle-parfums et y jette du séneçon. Prenant son chapelet, il le parcourt trois fois. Il tend la main en l’air et la ferme. Lorsqu’il la rouvre, il fait apparaître l’objet qui a servi à lier, il le montre au garçon d’honneur (du marié), puis, le dénouant devant lui, il lui dit: C’est untel qui l’a lié. Le garçon d’honneur se retire. Dès lors, le marié est délié».
Les jeunes se lient également, mais leur ligature obéit à d’autres principes. Dans de nombreuses régions du Maghreb, on lie les filles qui viennent de naître pour protéger leur virginité. Parfois, la ligature intervient dans la petite enfance, vers cinq ou six ans, mais le rite s’effectue toujours avant la puberté. On utilise aujourd’hui un cadenas: on le promène, ouvert, sur les parties sexuelles de la fillette, puis on le ferme. Le cadenas et la clef sont soigneusement gardés par la mère, et ne seront sortis que la veille du mariage: on délie alors la fille, en ouvrant le cadenas. Si par malheur, dit-on, on oublie de la délier l’époux ne parviendra pas à déflorer la jeune femme. La ligature s’effectue aussi avec du fil (c’était le moyen le plus courant autrefois): un fil est noué, puis caché, et, comme pour le cadenas, on le délie le jour du mariage. A Ouargla, le fil utilisé est un fil de soie ou de laine que la mère met entre les mains de sa fille, elle lui donne ensuite une casserole d’eau et lui demande d’y enfoncer le fil, en lui demandant de dire la formule: «Je suis fille et toi tu es fil» ce qui veut dire que la fille est comme un mur et le garçon qui tenterait d’abuser d’elle serait comme un fil mouillé. Le jour du mariage, la fille reprend le fil et le plonge de nouveau dans l’eau, en disant «je suis fil», c’est alors elle qui deviendra comme le fil mouillé et c’est l’homme qui sera mur.
Dans le cas où un mariage deviendrait impossible et que l’homme aime éperdument la femme ou la femme est passionnément éprise de l’homme, il existe une magie pour effacer l’amour des cœurs enflammés. Des techniques et des incantations sont données dans les ouvrages de magie, autrefois très courants au Maghreb. Un exemple, traduit par Doutté, est tiré de l’ouvrage de Soyouti. Celui-ci commence par donner des conseils qui n’ont rien de magique: «Le meilleur traitement, dit-il, est d’arriver à posséder l’objet désiré ; si c’est impossible, il faut essayer de lui substituer une autre beauté dont on s’éprend et qui fait oublier la première ; si l’on n’arrive pas à oublier, il faut s’adonner au commerce ou à l’étude, spécialement à celle de la grammaire ou des sources du droit (ouçoûl).» Si toutes ces tentatives échouent, l’auteur envisage alors des recettes, dont celle-ci qui consiste à écrire des assiettes: «Safoûs, Safouât; mon Allah, refroidis untel comme tu as refroidi le feu sur notre Seigneur Ibrahim…. ainsi qu’une telle, fille d’untel, n’ait plus dans le cœur d’un tel, fils d’une telle, aucune place durable et solide; chasse, ô Khechkhech, le poison qui le mine, lentement éloigne l’amour d’untel.» Puis on lèche une de ces assiettes chaque matin et chaque soir.
Par M. A. Haddadou – Infosoir.com